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Les combats de Stonne (mai 1940)
 

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Cet article est extrait du livre de Jean-Paul Autant "La Bataille de Stonne - Mai 1940 : Un choc frontal durant la Campagne de France.", que vous pouvez vous procurer à la boutique du Musée de l’artillerie.

Pour schématiser notre analyse et comprendre l’ensemble sans déformer la vision du développement de la bataille de Stonne, on peut considérer sommairement que la confrontation s’est déroulée en 3 phases chronologiques ; celles-ci correspondent aux 3 positionnements successifs de l’artillerie. Cependant, il s’agit plus de modifications que de réelles changement de positions des pièces, car le site de Sy, le village et le lieu-dit la Fontaine-Uchon, demeurera toujours le lieu d’installation de 11 batteries (sur les 16) [1] .

Les 3 phases

1) Le premier affrontement : du 14 au 18 mai.
Le matériel de l’artillerie parvient sur les lieux durant la nuit du 14 au 15 mai. Ses premières pièces sont immédiatement disposées et tirent avant l’aube du 15. Trois sites rapprochés sont choisis pour base ; d’est en ouest, répartis globalement sur une ligne de 5 km : la Berlière, Sy et la Fontaine-Huchon.

L’artillerie ouvre immédiatement un feu violent vers le nord, très destructeur.

Par exemple, elle pilonne sévèrement le régiment d’élite Grossdeutchland et lui inflige notamment la perte de 35 à 40 blindés au « fond de Lavaux », vers Artaise. Ce régiment d’élite allemand enregistre ici ses premières fortes destructions et son premier revers, tout comme la 10ème panzerdivision, ayant eu pour mission non réalisée de s’emparer dès le 14 mai du village de Stonne. Les cibles des canons des 42ème et 242ème RA se situent au nord de Stonne : Artaise-le-Vivier, la Raminoise, Lavaux

A Maisoncelle, le 2ème bataillon de ce même régiment subit de très lourdes pertes. Alors qu’il vient d’arriver le 14 mai dans la région nord de Stonne, au soir du 15 mai le colonel Schwering, commandant le régiment d’élite Grossdeutchland, écrira au général Schaal commandant la 10ème panzerdivision, que son régiment se trouve : « dans un état d’épuisement physique total et peu apte à poursuivre les combats. » Il ajoutera plus tard :« Stonne, [] le nom de cette localité est inscrite en lettres de sang dans l’histoire de notre régiment ».

Ce régiment sera relevé le lendemain pour se replier vers le nord avant de reprendre ultérieurement et ailleurs les combats. La 2ème division motorisée allemande (2ème IDM) le remplacera le 16 mai. Ce ne sont pas là que les résultats de l’action de l’artillerie, mais elle y a ici très fortement contribué. Ces tirs de destruction et d’interdiction pleuvent sur l’ennemi qui tente d’amasser des unités (le Grossdeutchland, la 10ème panzerdivision, des éléments des 1ère et 2ème panzerdivisions) pour monter à l’assaut du massif du Mont-Dieu tenu par les Français telle une barrière devant les forces d’invasion. L’artillerie française se situe juste derrière ce rempart, en contre-bas, à 4 ou 5 km au sud. Ainsi, le 15 mai, 18 000 obus seront tirés par les 1er, 2ème et 3ème groupe (canons de 75 mm). Le lendemain la consommation de munitions sera encore supérieure.

Le 16 mai, alors que l’invasion allemande s’est déjà avancée jusque dans la région de Saint-Quentin, dans l’Aisne (elle est à 35 km de la ville) le 2ème groupe du 42ème RA quitte Sy. Sous les attaques de Stukas et les bombardements, les 4ème , 5ème et 6ème batteries vont ainsi se positionner à proximité nord de Chatilon-sur-Bar (à 5 km au sud-ouest de Sy). Durant ce changement délicat, seulement 36 canons regroupés à Sy, se trouvent en situation effective de tirs. Cette situation perdurera jusqu’au soir du 17 mai où le 3ème groupe basé à la Berlière rejoindra Sy. Mais cette opération vitale vise maintenant à défendre aussi le flanc ouest de la 3ème DIM dangereusement exposé à l’ennemi depuis le regrettable repli de la 5ème division légère de cavalerie (5ème DLC) qui tenait la gauche de la 3ème DIM. L’ennemi a profité de cette défaillance. Il pénètre plus avant et menace le Chesne. Le 16 mai à 12 heures, la 5ème batterie est à sa nouvelle place. Sous le commandement du capitaine Hyppolite, elle ouvre le feu immédiatement sur l’ennemi qui s’avance au sud et l’arrête sur le côté nord de l’étang Bairon.

Le 16 mai le 3ème groupe, à la Berlière, tire 9 000 coups.

La brutalité des combats associée au pilonnage intense de l’artillerie sont tels qu’à deux reprises, le 15 et le 17 mai, l’ennemi doit demander aux Français de lui accorder une trêve ; ce qui lui est concédé. Le 15 mai, près de la route nationale 77 (actuelle D77) à la lisière nord du bois du Mont-Dieu, l’infanterie avait demandé un tir de barrage contre le régiment Grossdeutschland : ce bombardement s’avère ravageur. Le 17 mai, toujours dans cette zone nord du bois, c’est le 31ème infanterieregiment de la 24ème infanteriedivision qui, notamment victime de violents et meurtriers tirs d’artillerie, sollicite une trêve. Il déplore 80 tués et 20 blessés graves. Ainsi, l’artillerie permet d’affaiblir la pression ennemie, voire de la détruire localement, avant qu’elle ne fasse ressentir complètement ses effets sur nos fantassins.

Les 17 et 19 mai les 16ème et 24ème infanteriedivisions pénètrent et interviennent sur le champ de bataille. L’ennemi remplace ces unités usées par les combats et en avance de nouvelles. En face, la 3ème DIM et la 3ème DCR sont toujours là, mais elles ont perdu de leur effectif. On estime qu’au 17 mai, la 3ème DIM a déjà perdu 20 % ses effectifs d’infanterie. L’artillerie a aussi été touchée par les attaques aériennes qui interviennent brusquement en formations de Stukas, et par les contre-batteries car l’artillerie allemande se montre très offensive mais souvent peu précise. Il faut insister sur un phénomène constant durant la bataille : la suprématie aérienne sans partage de l’ennemi. Informée par un petit avion Henschel, surnommé « le maraudeur », « le mouchard » qui survole et observe impunément l’intérieur des lignes françaises, les attaques ennemies, aériennes ou terrestres, se révèlent très précises, très opportunes et très réactives. L’artillerie française en paiera un lourd tribu ; ses camions d’approvisionnement aussi. Il faut ici signaler tout le travail d’approvisionnement réalisé au cours de cette bataille. Des tonnes d’obus et de munitions convoyées de nuit, dangereusement, par le PAD depuis le bois de Toges (près de Quatre-champs) jusqu’au bois de Sy ; soit quinze kilomètres de distance. Le bois de Sy sert de réserve pour l’ensemble des unités, notamment pour alimenter le feu nourri de l’artillerie qui se trouve au pied du flanc nord de la colline du bois de Sy. On ne dira jamais assez combien fut chère, fragile et meurtrière cette « voie sacrée » qui, par le chemin de Sy traverse le bois de part en part nord-sud. L’aviation ennemie s’acharne souvent sur cette voie et sur ce bois que « le mouchard » désigne à leurs attaques renouvelées.

Ce 17 mai, depuis sa position de Châtillon-sur-Bar, la 5ème batterie détecte une colonne de véhicules ennemis sortant de Sauville, sur le côté ouest du canal des Ardennes. Celui-ci s’apprête à attaquer le flanc droit de la 3ème DIM. La 5ème batterie attend que l’objectif se présente à bonne distance puis ouvre le feu : 400 coups pour détruire la colonne.

Le 18 mai l’activité de l’artillerie est intense : ce jour les 7ème 8ème et 9ème batteries positionnées jusqu’à présent près de la Berlière se rapprochent des autres batteries en se fixant au village de Sy.

2) La relative accalmie : du 19 au 22 mai.
C’est une phase de transition. Cette période plus calme, les lignes restant dans la même configuration, n’est pas dépourvue d’attaques et de bombardements ponctuels ; mais ils sont moins nombreux. Ce jour voit une importante concentration de tirs de 150 mm long allemands sur le village de Sy. Le lendemain, l’artillerie française tirent 860 coups à la demande de l’infanterie.

Mais l’ennemi prépare une attaque générale qu’il déclenchera le sur-lendemain, 23 mai.

3) La confrontation finale : du 23 au 24 mai, « Le Verdun de 1940 ».
Le 23 mai la 13ème batterie se déplace du village de Sy pour monter au lieu-dit le Chénet : en reculant d’un kilomètre elle s’élève de 50 mètres [2] et gagne ainsi en efficacité.

Alors que le « coup de faucille » opéré par les panzerdivisions du IIIème Reich est parvenu à faire tomber le port de Boulogne sur la Manche le 23 mai, à Stonne on se bat encore et toujours. Qui plus est, les 23 et 24 mai sont les plus terribles journées de la bataille. L’ennemi prononce avec force son offensive simultanément sur les trois fronts. Il tente une manœuvre d’encerclement. Nous ne disposons pas assez de place pour expliquer ces deux journées d’enfer. Simplement quelques chiffres ; ils donnent le vertige.

La 3ème DIM fait donner toute son artillerie : 48 canons théoriquement actifs [3]. Pour sa part, l’ennemi fait converger le feu de ses 144 canons sur les Français (l’artillerie de 3 divisions et de 2 corps d’armée). En prévision, l’ennemi a stocké 5 600 tonnes d’obus. C’est l’unique exemple d’une si importante concentration d’artillerie de toute la guerre de 1940. Ce 23 mai le 5ème groupe du 242ème RA tirent 10 700 obus. Au total, on peut estimer que les Français tirent la quantité énorme de 45 000 obus, soit près de 400 tonnes de projectiles. De leur côté, les Allemands en tirent beaucoup plus : un enfer ! Le général Paul Wagner, à Stonne colonel commandant le 79ème infanterieregiment, déclarera comme de nombreux autres anciens combattants allemands après la guerre : « il y a 3 batailles que je ne peux oublier : Stonne, Stalingrad et Monte-Cassino ; » « c’était le Verdun de 1940. »

Simplement deux exemples de destructions préventives par les tirs meurtriers des 42ème et 242ème RA : le 23 mai avant même de parvenir réellement au contact de l’infanterie française, le 2ème bataillon du 39ème infanterieregiment est mis hors de combat dans le voisinage de Sauville, ce même jour le 64ème infanterieregiment est disloqué, désorganisé au nord de Stonne.

Le 24 mai, l’ennemi pénétrant dangereusement dans les lignes, l’artillerie en vient à « tirer à zéro » [4] ; l’ennemi est parvenu à quelques centaines de mètres à peine des canons. A la Fontaine-Uchon, les artilleurs sont sous le feu direct des mitrailleuses allemandes, surtout la 4ème pièce de la 3ème batterie située le plus à gauche, très vulnérable car la plus près de l’ennemi. ; la seule 15ème batterie aura expédié 1500 obus. Les canons, rougis par les cadences excessives des tirs, doivent être refroidis à grand renfort de seaux d’eau.

Dans la nuit du 24 au 25 mai, sur ordre supérieur de l’état-major, la 3ème DIM et la 3ème DCR se résignent à se replier. Cet ordre est imposé par le général Flavigny, commandant le 21ème corps d’armée, devant le danger d’encerclement total et l’évolution de l’ensemble du front. Les unités évacuent la poche de résistance française par le sud, la « voie sacrée », alors que l’ennemi ne réagit pas, épuisé qu’il est ; celui-ci en profite pour relever certaines de ses unités. Pour assurer la sécurité des troupes, l’artillerie se replie la première puis se réinstalle en position de tir ; seule la 13ème batterie reste un temps au Chénet ainsi que la 2ème batterie qui demeure temporairement en arrière-garde au Bois-Uchon.

L’artillerie de la 3ème DIM assure alors la transition et les tirs pendant que s’effectue la relève de la division par la 35ème division d’infanterie du général Decharme qui arrive sur les lieux et prend position sur la nouvelle ligne. Elle restera en appui de cette division jusqu’au 7 juin.

Géographie des lieux

Ci-dessous une carte en usage à l’époque, avec carroyage Lambert.

(JPG)

REPERES TOPOGRAPHIQUES (altitudes des lieux, des groupes et batteries)

LieuxGroupes et batteriesAltitude
Sy : III/42 (B7, B8, B9) : 188 m
Sy : VI/242 (B16 , B17) : 185m
(B18) : 193 m
Sy : II/ 42 (B4, B5, B6) : 188 m
Sy : V/242 (B13, B14, B15) : 190 m
la Fontaine-Uchon : I/42 (B1, B2, B3) : 230 m
Sy (bois) : 244 m
Artaise-leVivier : 202 m
la Raminoise :204m
Maisoncelle : 265 m
Grandes Armoises : 220 m
Canal des Ardennes : 164 m / 160 m
la Berlière : 205 m
Petites Armoises : 172 m
Tannay : 192 m
Stonne : 335 m
Cote 276 le Mt-Dieu (la Grande Côte) : 339 m
Sauville : 180 m
le Mt-Dieu (la Grange au Mont) : 296 m
Observatoire du Chénet : 243 m




Pour voir l’organisation de l’artillerie de la 3è DIM, cliquer ici.

[1] Les 14ème et 15ème batteries, respectivement, demeureront du 14 au 24 mai aux points approximatifs suivants : 181,1 et 188,2

[2] Au point 238,2

[3] Certains canons sont peu opérationnels sur les assauts ennemis des 23 et 24 mai : les 12 canons à Châtillon-sur-Bar se trouvent éloignés et en enfilade du canal des Ardennes (ainsi, le 23 mai sera considéré comme « calme » par cette 5ème batterie) ; il en est de même pour les canons du 319ème RA qui sont basés au village des Petites Armoises (carte à carroyage Lambert : 290 : 305,5).

[4] Précision pour le lecteur non artilleur : « Tir à zéro » : tir sans aucun réglage, à vue, tant l’objectif est dangereusement proche. C’est une position extrême.


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