Nous sommes à la fin du XIXè siécle. Les progrès réalisés sur les pièces d’artillerie, et les poudres, permettent d’envisager de tirer au-delà de l’horizon visible, mais toujours en tir tendu, pour commencer. Sans modifier son organisation, cela revient à pratiquer du tir en aveugle. Ce qui est acceptable lorsque l’on souhaite harceler l’adversaire, mais sans plus.
Pour obtenir une meilleure efficacité sur l’adversaire, il faut d’abord le détecter et pouvoir agir sur lui quelque soit le lieu où il est installé (à contre-pente, dans les abris, en rase campagne).
L’utilisation des ballons d’observation engendre de nouvelles possibilités de traitement par le feu. Il suffit d’établir des catalogues d’objectifs fixes et de les diffuser. Le ballon est complété par l’apparition des avions, qui ont une capacité de pénétration plus profonde. Avec d’autres moyens (cerfs volants) on parle alors des possibilités offertes par l’aéronautique. Dans le même temps, on tente de localiser les batteries adverses par le son et les lueurs : c’est la technique du repérage, qui deviendra une arme à part entière (arme du repérage). La méthode consiste à observer précisément les batteries adverses, à l’aide de moyens acoustiques et optiques, et à en définir la localisation précise, avec le concours de la géographie militaire et l’usage de cartes (plans directeurs). Avec tous ces acteurs, on procède à l’élaboration de catalogues d’objectifs (canevas de tir). C’est la naissance du Renseignement d’artillerie qui va se révéler pertinent.
L’incidence sur les armes est importante puisqu’il s’agit de passer du tir tendu au tir courbe, et de pratiquer de nouveaux modes de tir : le tir plongeant (jusqu’à 45° de hausse) et le tir vertical (au-delà de 45°).
Le tir courbe n’est pas méconnu car il est utilisé depuis l’emploi des mortiers. On en connaît les effets ravageurs à la bataille de Fontenoy où le feu vient de toutes parts, même sur les emplacements les plus retranchés. Mais pour les canons, par construction, ils ont parfois des capacités limitées en pointage vertical. Mais on saura construire des pièces avec de meilleurs débattements en direction comme en site.
Il reste à établir une liaison entre ces nouveaux intervenants et l’artillerie. Les documents écrits sont portés par estafettes, mais il est utile d’avoir des moyens d’information plus rapide pour déclencher les tirs aux moments opportuns. C’est le téléphone qui apporte cette possibilité, avant que la TSF ne prenne le relais, bien plus tard.
Mais une autre conséquence est la nécessité de calculer les éléments du tir en se référant aux coordonnées rectangulaires des objectifs sur les plans directeurs et en déterminant la propre localisation des pièces. Les artilleurs vont alors pratiquer la topographie (relevés sur le terrain, graphiquage et calculs trigonométriques) et la détermination des éléments balistiques (direction, angle de tir) par calcul et utilisation de tables (afférentes à chaque matériel et munition utilisée), à afficher aux pièces sur de nouveaux matériels de pointage. On voit par conséquent apparaître sur le terrain de nouvelles équipes et de nouveaux matériels.
En organisation, il va aussi y avoir des bouleversements. La direction (conduite) du tir, pour appuyer au plus près les armes de mêlée, va se dissocier du commandement des pièces. L’arrivée du téléphone autorise la séparation du capitaine de ses pièces. Des détachements d’observation avancés voient le jour et l’arrivée de la TSF amplifiera cette tendance.
Avec l’allongée des portées, les pièces peuvent se mettre à l’abri des coups adverses, et plus particulièrement de la contre-batterie, en se défilant aux vues directes, et facilite les approvisionnements des pièces en munitions.
Des procédures et des règles de tir vont faire leur apparition pour garder, voire améliorer, l’efficacité de l’artillerie.
Pour faire face aux nouveaux éléments perturbateurs créés par la traversée de couches de plus en plus hautes de l’atmosphère, des systèmes sont mis au point pour en évaluer les facteurs (vitesse et direction du vent, densité et pression de l’air, température sèche et humide etc.). Ces matériels concourent à renforcer la notion de système d’arme. Ce sont des stations de sondage dont les paramètres obtenus sont convertis en corrections à apporter aux éléments de départ (abaques, calculateurs).
L’artillerie a maintenant la possibilité de concentrer sur un même objectif les tirs de plusieurs unités, dans des calibres différents, créant ainsi un effet de masse redouté par l’adversaire.