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1854-1855 : Le siège de Sébastopol
 

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Article extraite de l’ouvrage :Au son du canon, vingt batailles de l’artillerie, ouvrage collectif sous la direction de Gilles AUBAGNAC, EMCC Lyon 2010, 144 p.(Disponible à la boutique du Musée de l’artillerie)

1854-1855 Le siège de Sébastopol

Dans une guerre lointaine, à Sébastopol, en Crimée, l’artillerie de siège permet la victoire et met fin à une campagne incertaine.

Contexte historique

La Crimée et l’accès aux détroits sont des enjeux stratégiques de longue date. Successivement occupée par toutes les tribus turcos-mongoles au cours du Moyen-Age, la Crimée est finalement rattachée à l’Empire Ottoman au XVe siècle. Trois siècles plus tard, Catherine II, qui vient d’annexer ce territoire, installe les premiers colons slaves. Sébastopol devient au XIXe siècle une importante base navale russe. Devant l’effondrement de l’Empire Ottoman, les appétits russes s’aiguisent. L’accès tant recherché à la Méditerranée semble enfin à portée de vue. Prétextant son désir de sauvegarder les communautés religieuses orthodoxes se trouvant en territoire ottoman, Nicolas 1er s’empare de la Valachie et de la Moldavie en février 1854.

La France et la Grande-Bretagne sont farouchement opposés à l’émergence en Méditerranée d’une puissance comme la Russie. De plus, Napoléon III, venant de monter sur le trône, a besoin d’un fait d’armes glorieux pour asseoir son pouvoir en rappelant aux Français les triomphes de son oncle.

Après une escalade diplomatique, les alliés britanniques, français et sardes déclarent la guerre à la Russie en mars 1854.

Les victoires sont rapides mais, par manque de planification et de commandement allié clairement établis, le conflit traîne en longueur. Le siège de Sébastopol s’éternise. Le 8 septembre 1855, le fort de Malakoff, clé de défense, est enfin pris et la ville tombe.

Sébastopol : un siège qui s’éternise.

La victoire de l’Alma, le 20 septembre 1854, ouvre la route de Sébastopol. Grand arsenal sur la mer Noire, la citadelle est le port d’attache de la marine russe menaçant la Méditerranée. Face aux troupes russes commandées par l’amiral Menchikov, qui fait couler volontairement ses navires, les alliés alignent environ 120 canons. Le rapport de forces s’élèvent à un canon contre trois en faveur des Russes à la mi-octobre.

Les premiers coups tonnent le 17 octobre 1854 et la précision des tirs des marins russes, devenus soldats sur leurs embarcations sabordées, leur permet de détruire un dépôt de munitions français.

Côté russe, Totleben, ingénieur en chef de Menchikov, renforce les fortifications et étend le dispositif. Le blocus n’est pas complet et les Alliés doivent contrer les armées russes lors des batailles de Balaklava, remportée héroïquement par la charge de la brigade légère anglaise, le 25 octobre, et d’Inkerman le 5 novembre.

Le siège s’éternise alors et l’opinion publique s’impatiente à Paris et Londres [1], de même qu’à Saint-Pétersbourg. Ce qui devait être une simple expédition de transforme en une longue guerre car les siège va durer presque un an.

Les conditions sont exécrables : des températures extrêmement basses provoquant de congélation, l’alimentation manque et le soutien sanitaire est déficient et entraîne des épidémies de choléra et de scorbut.

Trois généraux se succèdent à la tête des troupes françaises : Saint-Arnaud ; qui meurt du choléra le 20 septembre 1854 ; Canrobert, qui démissionne le 16 mai 1855, puis Pélissier, qui reprend le commandement et veut pousser le siège à outrance. Après les batailles de Balaklava et d’Inkerman, le général Pélissier donne l’ordre de mener l’assaut final et charge le maréchal de Mac-Mahon de s’emparer, avec ses zouaves, de la tour Malakoff surplombant la citadelle et représentant la clé de la défense russe. Après trois jours d’une préparation d’artillerie intense, la division Mac-Mahon s’élance, le 8 septembre 1855 à midi, avec une impétuosité telle que l’ennemi est littéralement submergé en dépit de la résistance russe. Dans le courant de l’après-midi, le général Niel prévient Mac-Mahon que les russes s’apprêtent à faire sauter l’ouvrage et lui recommande d’évacuer. Celui-ci lui aurait répondu "J’y suis, j’y reste !". [2] Ce succès entraîne la chute de Sébastopol.

L’artillerie française précipite la chute de Sébastopol

L’assaut de Sébastopol fut préparé, du 17 août au 5 septembre, par de nombreux bombardements détruisant les fortifications de la ville. Durant les trois jours précédant l’assaut, ce sont 800 canons qui intensifièrent le feu, causant des dégâts considérables et 7500 morts à la garnison assiégée.

Il y avait au pied des murs de la ville du côté français plus de trente-deux types de canons différents de quatre pays d’origine différente (français, anglais, turcs et russes) avec chacun plusieurs sortes de munitions. Du côté russe, cette diversité s’enrichit des pièces récupérées à bord des navires sabordés au sein du port de Sébastopol, cette action visant à empêcher l’accès à la ville par la voie maritime. Cette diversité d’armement contraint les belligérants à une logistique gigantesque en volume, en diversité et en organisation. La mise en œuvre des pièces est aussi un point négatif à cette quantité de modèles. Les servants ne peuvent aisément renforcer une pièce voisine fonctionnant différemment. Par ailleurs, les pièces de rechange et les outils pour servir les canons ne sont pas standardisés, alourdissant le soutien.

Néanmoins, dans ce type de conflits statiques où les positions sont tenues, l’artillerie joue un rôle majeur. En effet, toute intervention des troupes de mêlée est précédée par une préparation d’artillerie. A Sébastopol, les navires de guerre ont pu participer à l’effort de feu contre les troupes russes. Cette participation de la Marine n’eut malheureusement pas un réel succès face aux canonniers protégés par les fortifications russes. La guerre de siège et la présence de fortifications ont fait revenir à l’ordre du jour l’utilisation du mortier. Face à un ennemi retranché derrière ses fortifications, le canon ou l’obusier, bien plus utilisés dans les conflits précédents pour leur plus grande mobilité, offrent une trajectoire trop directe, laissant les opposants à l’abri des projectiles derrière des fortifications. Le mortier quant à lui, a une trajectoire verticale permettant de frapper derrière un ouvrage. Face à la menace de l’artillerie, les ouvrages de siège vont s’adapter eux aussi. Les fortifications en pierre vont être doublées d’une épaisseur de terre afin d’offrir une couche d’éclatement pour l’obus, plutôt qu’un mur compact qui s’effondrerait plus rapidement. Les Alliés seront ainsi bien mieux protégés derrière leurs merlons de terre tenus par des palissades en bois, que les Russes avec leurs fortifications de pierre.

Voir aussi l’article de cet ouvrage dédié au Maréchal Bosquet, un artilleur à Sébastopol.

[1] Le télégraphe modifie les rapports du politique au militaire. Le télégraphe électrique succède au télégraphe de Chappe. Beaucoup plus rapide et permettant de plus grandes élongations, les ordres des états-majors parviennent plus vite au niveau exécutif. C’est la première utilisation à des fins militaires du télégraphe électrique, véritable révolution dans le commandement. Cela va entraîner d’autres nouveautés. L’élongation des communications permise par ce nouveau système va donner aux hommes politiques la possibilité d’intervenir au cœur de la guerre et à la population d’être au courant des événements du front, même si celui-ci est à plusieurs milliers de kilomètres d’elle. Les bulletins d’information paraissaient à Paris et à Londres avec seulement trente-six heures de décalage avec les événements. L’action et le poids de l’opinion publique émergent et, de façon corrélée, la propagande devient un instrument stratégique et politique quasiment en temps réel et de manière encore plus forte qu’au temps des bulletins de la Grande Armée.

[2] Quand on lui demanda plus tard, s’il avait effectivement prononcé cette phrase, Mac-Mahon répondit : "je ne crois pas avoir donné à ma pensée cette forme lapidaire : je ne fais jamais de mots".


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