Texte extrait de l’ouvrage : Au son du canon, vingt batailles de l’artillerie, ouvrage collectif sous la direction de Gilles AUBAGNAC, EMCC Lyon 2010, 144 p.(Disponible à la boutique du Musée de l’artillerie)
Lorsque le Tchad accède à l’indépendance en 1960, l’Armée nationale tchadienne (ANT) embryonnaire et l’administration peinent à assurer la continuité du pouvoir.
A partir de 1966, le front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) tente d’exploiter à des fins politiques le mécontentement général, alors que le réfugiés Toubou de Lybie commencent à organiser la rébellion de l’extérieur.
Des accords de coopération et d’assistance sont signés entre la France et le Tchad en 1967.
En 1969, François Tombalbaye demande ainsi l’aide française afin de lutter contre la rébellion qui déchire le pays.
Malgré les interventions françaises, la crise s’intensifie et les mouvements rebelles sont progressivement appuyés militairement par la Lybie.
La France intervient dès mars 1969 : l’opération "Limousin" est la première opération d’envergure menée par la France dans une de ses ex-colonies depuis 1962.
Initialement prévue pour être courte, elle dure plus de deux ans et prend une dimension qui n’avait pas été envisagée à ses débuts. Le nombre d’actions de feu conduites sur la totalité du territoire, en particulier dans la bande d’Aozou, et l’ampleur des moyens déployés ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les opérations d’Algérie.
Elle ouvre une ère nouvelle, en particulier au Tchad et sur le continent africain.Le commandement direct à partir de Paris commence alors à s’affirmer.
Elle préfigure aussi, à bien des égards, la nouvelle physionomie de l’armée de terre, notamment pour ce qui concerne la juxtaposition de deux types de forces : celles dédiées à l’intervention extérieure, professionnalisées, et l’autre partie de l’armée de terre composée de personnels du contingent et prévue pour être engagées en Europe face aux troupes du Pacte de Varsovie dans un combat classique de grande envergure.
Depuis 1972, de nombreux affrontements ont régulièrement lieu entre Tchadiens et Lybiens, ces derniers revendiquant la possession de la bande d’Aozou dans la région du Tibesti.
Cette zone sert, de plus, de refuge aux opposants au régime tchadien qui mènent des actions militaires vers le Sud et notamment la capitale N’Djamena.
Les forces françaises ont tenté à multiples reprises d’apaiser ce conflit tribal, voire internationale avec la Lybie, en fournissant une aide militaire en application des accords de coopération passés avec le Tchad en 1976.
Plusieurs opérations sont menées par la France dans ce contexte, et ce en complément des forces françaises d’assistance permanentes ou des armées nationales tchadiennes : Tacaud (mars 1978 - août 1979), Manta (août 1983 - novembre 1984) et Epervier (depuis le 4 février 1986).
En 1977, les armées gouvernementales du général Malloum, au pouvoir depuis 1975 grâce à un putsch, sont mises en difficultés par le Front de libération nationale-du Tchad (Frolinat de C. Oueddei) qui s’est allié aux Forces armées nationales tchadiennes (FANT) d’Hissen Habré. Les forces rebelles, soutenues par la Libye, sont à ses ordres et s’engagent depuis Faya Largeau vers la capitale. La mission initiale du groupement Tacaud consiste, dans un premier temps, à conseiller les forces tchadiennes, puis à préparer un éventuel engagement d’éléments militaires français.
Outre le dispositif dissuasif de l’armée de l’Air, qui aligne jusqu’à dix avions Jaguar et quelques hélicoptères légers, ou de manœuvre de l’ALAT, l’armée de terre déploie un peu plus de 2 000 hommes équipés pour l’essentiel d’automitrailleuses légères et de postes de tir antichars MILAN. Ces troupes sont appuyées par deux sections de mortiers de 120 mm, l’une avec des modèles russes datant de 1938, armée par du personnel en coopération, et l’autre avec les quatre pièces mises en œuvre par la 1ère batterie du 35e RAP. Pour leur part, les Tchadiens fournissent une section de lance-roquettes russes BM 13. Tous ces moyens constituent le groupement d’artillerie dont la mission est d’appuyer l’escadron du 1er REC et la compagnie du 3è RIMa engagés sur Salal. Le 24 avril 1978, les forces françaises reçoivent pour mission de prendre contact avec les troupes rebelles à hauteur du fortin de Salal, 100 km au nord de Moussoro, et de bloquer leur progression vers la capitale. En fait, il s’agit de stabiliser la situation militaire, afin de permettre l’établissement de négociations entre les protagonistes tchadiens.
Pendant cette phase de l’opération, la batterie du 35e RAP assure deux missions : appui de l’infanterie chargée de la prise de contact en effectuant des tirs de neutralisation des forces rebelles regroupées dans le fortin, couverture de ces mêmes unités d’infanterie lors du désengagement après action puis du repli vers Moussoro. Au total, la batterie tire une centaine de coups de mortier, bloquant ainsi les forces rebelles dans leur progression. Mise en place dans l’urgence le 22 avril 1978, la batterie rentre en France le 30 juillet. Elle comprenait une équipe de commandement et de liaison à deux équipes d’observateurs, une équipe de reconnaissance et de topographie réduite, une équipe de tir, six équipes de pièces dont deux sans matériel en renforcement immédiat (soit 4 mortiers de 120 Mle F1), une équipe de transmissions, une équipe de munitions réduite et enfin une équipe de soutien auto et santé. L’opération Tacaud prend fin en mai 1980.
A partir de juin I983, C.Oueddeï, chef de l’Armée de libération nationale (ALN) et du Gouvernement d’unité nationale de transition (GUNT) implanté dans le Nord du Tchad et soutenu par les Libyens, lance une attaque contre Faya-Largeau. Le 24 juin, Faya-Largeau est prise par l’ALN et l’offensive est poursuivie vers N’Djamena. Le chef du gouvernement tchadien H. Habré, à la tête des Forces armées nationales tchadiennes (FANT), mène une contre-offensive et le 30 juillet reprend Faya-Largeau. Les Libyens réagissent en lançant des attaques aériennes.
Le 3l juillet, H. Habré demande l’aide de la France. Le l0 août, l’ALN reprend à son tour Faya-Largeau. Le 11 août débute l’opération Manta dont la mission est le maintien de la paix par la mise en place d’une ligne défensive (ligne rouge) au sud de Faya-Largeau (15è parallèle) pour éviter l’affrontement direct entre les FANT et les forces coalisées de l’ALN et de la Libye.
Fin août 1983, le dispositif français est en place. Il est sous le commandement d’un officier général de l’armée de Terre et comporte des moyens de défense aérienne (radar, batterie sol-air Crotale et Mirage F1 C), des Jaguar de la force aérienne tactique, des avions C 135F de ravitaillement en vol, un Breguet Atlantic de la Marine et des Transall du transport aérien militaire.
Le 25 janvier 1984, la destruction d’une colonne de l’ALN à Torodoum se solde par la perte d’un Jaguar et de son pilote.
Le dispositif défensif est alors renforcé pour l’augmentation du nombre d’avions de combat et la ligne rouge reportée du l5è au 16è parallèle.
Pour l’armée de Terre, les unités déployées proviennent essentiellement de la Force d’action rapide ou d’unités déjà pré-positionnées au Cameroun, au Gabon ou en République centrafricaine. Les effectifs atteignent alors 1 200 hommes. L’artillerie fournit trois sections équipées de missiles sol-air très courte portée Stinger de la FAR (11è RAMa, 35è RAP, 68è RA) en protection du site de N’Djamena ou des groupements en avant-postes.
Surtout dissuasif, le dispositif interarmées de cette opération est totalement regroupé au sud d’une ligne Salal-Arada puis au sud du 16è parallèle. Sur chacun des axes sud-nord du Tchad, un sous-groupement est posté en avant du dispositif et est appuyé par des hélicoptères Gazelle armés de missiles HOT et de canons ainsi que par les Jaguar de l’armée de l’Air. La mission consiste à arrêter et détruire les groupes et unités de rebelles en provenance du Nord.
En avril 1984, le colonel Khadafi accepte de négocier et, en septembre, un accord de retrait bilatéral est obtenu. Le retrait des éléments français (opération Silure) se termine le 7 novembre 1984 et met fin à l’opération Manta.
Le l0 février 1986, les rebelles de la coalition du GUNT reprennent l’offensive sur Kouba-Oulanga, Oum-Chalouba et Kalait.
Hissen Habré demande à la France d’intervenir une nouvelle fois. Néanmoins, le but de la mission française est prioritairement d’assurer la sécurité de l’aéroport de N’Djamena en tant que base support des FANT.
Le 13 février 1986, H. Habré reprend Oum-Chaboula et, le 16 février, les Jaguar de la FATAC attaquent la piste de Ouadi Doum et l’endommagent. Le 17 février, un bombardier libyen TU 22 attaque N’Djamena et endommage légèrement la piste.
En octobre, la coalition GUNT éclate et le 14 novembre, les Libyens prennent Fada. En janvier 1987, les FANT reprennent Fada et l’aviation libyenne bombarde les positions françaises de Biltine, Oum-Chalouba et Arada.
Le 7 janvier 1987, un raid aérien de Jaguar détruit le radar libyen de Ouadi-Doum. Des combats très rudes opposent Libyens et FANT. Ces derniers, très motivés et très mobiles, infligent des pertes sévères aux Libyens jusqu’à Aozou et Maaten Es Sara, en Libye.
Le 7 septembre, deux TU 22 attaquent N’Djamena. L’un est abattu par la défense sol-air de l’armée de Terre, l’autre s’enfuit avant même de pénétrer dans l’espace aérien tchadien. Un troisième attaque et endommage légèrement la piste d’Abéché.
Depuis 1987 et jusqu’à ce jour, le dispositif a évolué selon la menace, mais la défense sol-air a été renforcée face à l’apparition d’une nouvelle menace, celle de l’aviation libyenne dont les bombardements répétés ont matérialisé l’activité. Ce déploiement antiaérien complémentaire ne relève donc pas d un changement de stratégie, mais d’une adaptation à la menace.
Voir l’article particulier sur la journée du 7 septembre 1987.