André Martel, Professeur émérite, Président (h) de l’Université Paul-Valéry (Montpellier III)et Colonel (h) de l’arme blindée-cavalerie (ABC) a rédigé la préface de l’ouvrage :
Au son du canon : vingt batailles de l’artillerie.
Pour introduire l’Histoire des grandes batailles de l’artillerie, il vous est proposé un extrait de cette préface afin d’apporter un lien entre les différents articles qui vous sont proposés dans cette rubrique.
L’auteur relève que, dans cet ouvrage, toutes les batailles où l’artillerie s’est distinguée. C’est la raison pour laquelle certains de ces oublis (volontaires) sont développés dans cette rubrique.
A partir de ce texte, il vous est possible d’accéder directement aux batailles en cliquant sur les liens qui vous sont proposés. Sinon, revenez en tête de rubrique en cliquant sur la commande Retour en haut de cet article.
D’autres liens vous permettent d’accéder à des informations sur de personnages nommément désignés ou des matériels particuliers.
Pour vous procurer l’ouvrage, voir ce lien :
Au son du canon, vingt batailles de l’artillerie, ouvrage collectif sous la direction de Gilles AUBAGNAC, EMCC Lyon 2010, 144 p.(Disponible à la boutique du Musée de l’artillerie)
...........
Sur terre le canon fut, en Europe occidentale du moins, employé d’abord de manière statique à la guerre de siège : attaque et défense des fortifications. Encore fallait-il que les bouches à feu fussent préalablement installées et fixées sur leurs emplacements de tir, sur les remparts ou les tranchées. Ce qui exigeait un transport préalable ; une contrainte distinguant dès ses origines l’artillerie de la cavalerie et de l’infanterie se déplaçant sans moyen de transport. Impossible de dissocier le canon d’une force de traction.[...].
La mutation, le mot n’est pas trop fort, engagée par la bataille de Castillon résulte du déplacement des canons pendant la bataille même qui préparait, à très, très long terme, la notion de "manœuvre des feux". [...]. Ce qui entraîna trois contraintes : l’allègement des canons pour permettre à l’artillerie de marcher au rythme de la cavalerie et de l’infanterie, la création d’affûts mobiles pour la manœuvre durant la bataille, l’acheminement simultané de projectiles de plus en plus nombreux. Autre résultat, la partition modulable, selon les besoins du moment, des pièces d’une armée en batteries de quatre, six canons ou plus et leur concentration possible.
....................
Pendant trois siècles, les progrès sont lents, marqués du sceau de l’empirisme. Les remparts des villes s’effondrent sous les coups des boulets métalliques qui ébranlent également les murailles des châteaux médiévaux. L’autorité royale s’impose par le canon, devenu un temps arme de dissuasion. En revanche, les forteresses garantes de l’inviolabilité du territoire national, par la combinaison des angles morts et des défilements, défient les tirs des assaillants qui doivent s’approcher au plus près par la succession de tranchées "parallèles". Vauban y excelle, notamment à Besançon (1674) en présence du roi. ll faut ouvrir la brèche, à Constantine ou à Sébastopol, au XIX siècle encore. Ou tourner le système fortifié comme les Allemands en 1940, débordant la ligne Maginot. Les "cas" évoqués dans ce recueil de batailles, même s’ils privilégient l’artillerie arme de mêlée, préparant puis accompagnant la charge de cavalerie ou l’assaut de l’infanterie, n’oublient pas l’autre composante du rôle de l’artillerie. Ils s’inscrivent dans quelques grandes périodes que jalonnent progrès techniques et/ou réorganisation.
Dès la fin du XVIIè siècle, après plus de deux cents ans de progrès empiriques au cours desquels le canon, on l’a dit, conquiert une importance croissante, sont publiés de nombreux essais de tactique qui ne négligent ni la place ni le rôle de l’artillerie dans la bataille. Le souci d’ordre, qui caractérise les réformes de Louvois, devient un besoin de logique qui inspire les réformes de Vallière, puis celles de Gribeauval dont le "système" raisonné reflète le temps des Lumières, illustré par la création d’écoles formant les officiers des armes savantes. L’harmonisation des calibres (par le poids des boulets en livres:4, 6, 8, 12) s’accompagne de l’unification de tout ce qui assure l’efficacité de l’artillerie royale et de ses régiments : du harnachement des attelages aux caissons de munitions accompagnant les bouches à feu. L’ordre (toujours le même mot) divisionnaire de Guibert en bénéficie. Les conséquences n’en sont cependant pas immédiates, soit qu’il faille du temps pour équiper toute l’armée ou pour faire renoncer aux vieilles pratiques, soit que les conditions de la bataille ne s’y prêtent pas, car le système Gribeauval est conçu pour l’artillerie de campagne et l’artillerie de siège garde un rôle à jouer.
Maurice de Saxe, à Fontenoy en 1745, conduit une véritable bataille interarmes combinant l’action des trois armes de mêlée. A Yorktown, en 1781, dernière victoire de l’Ancien Régime, les artilleries de campagne et de siège préparent l’assaut final des Franco-Américains de Rochambeau et Washington, tandis que l’artillerie de la flotte française les couvre côté mer.
C’est seulement sous la Révolution et l’Empire que les réformes de Gribeauval produisent leur plein effet, qu’il s’agisse de "défendre le sol sacré de la patrie" ou de porter la liberté dans toute l’Europe. Car il convient de ne pas dissocier leur emploi de l’enthousiasme patriotique qui anime les armées françaises, dans des guerres qui opposent désormais des nations et non plus seulement des souverains. Un artilleur issu des écoles de l’Ancien Régime illustre en trois temps les différents emplois de cette force matérielle et morale. Bonaparte contraint la flotte anglo-espagnole à évacuer la rade de Toulon ( 1793) par la concentration du feu de ses canons. Le 13 vendémiaire de l’an IV (1795), il écrase à Paris une insurrection royaliste, dont la cavalerie achève la dislocation. La Grande Batterie de Wagram (I809) prépare l’assaut décisif de l’infanterie. Les Français ont tiré cent mille boulets.
L’artillerie, au XIXè siècle, confirme son double rôle : maintien à l’intérieur de l’ordre établi, préparation et accompagnement des assauts de l’infanterie pour la réduction à l’extérieur des places fortes ennemies. Une nouveauté : le transport par mer, par navires à voile puis à vapeur, des batteries de l’artillerie terrestre, de leurs équipages et de leur train de combat. A Sébastopol (1855), les artilleries française, anglaise, turque pilonnent pendant trois jours les fortifications russes. Combien de rotations navales pour acheminer les munitions nécessaires aux trente-deux types de canons des coalisés ? En revanche, le télégraphe électrique achemine les nouvelles presque en temps réel. A Solférino (1859), alors que le transport ferroviaire est déjà devenu la règle et que les pratiques de franchissement fluvial ont encore été perfectionnées, de nouveaux moyens sont mis en œuvre : l’obus oblong et le canon rayé. La mémoire reste marquée par le carnage qui en résulte. L’histoire, elle, se doit de ne pas oublier les années de recherche et d’essai qu’ils ont exigées et qui se poursuivent sans interruption avant comme après la défaite de 1870.
Les campagnes lointaines introduisent cependant une diversion, dans l’emploi et la recherche. Il devient nécessaire non seulement d’acheminer des canons, mais surtout d’en réduire le poids, de les rendre modulables pour les répartir en charges compatibles avec le portage par bêtes de somme voire par la traction à bras. Sans oublier le transport des munitions, peut-être moins spectaculaire, mais indispensable. Trois exemples sont donnés : la campagne du Tonkin (1884- 1888) ; celle du Soudan, contre Samory, qui s’achève par la prise de Sikasso (1894) ; celle de Madagascar, à laquelle met fin l’entrée à Tananarive la même année. Elles se déroulent dans des milieux totalement différents, sans grandes pertes autres que sanitaires, contre des ennemis dépourvus d’artillerie. Des guerres inégales, conduites contrairement aux précédentes et qui aboutissent à la reconnaissance d’une armée coloniale se substituant aux troupes de marine : « marsouins » pour l’infanterie, "bigors" pour l’artillerie.
En métropole, où les artilleurs restent les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges, les recherches et expérimentations se sont intensifiées depuis le désastre de 1870. Elles aboutissent, en 1897-1898, à l’adoption du canon de campagne à tir rapide calibre 75 mm ayant une portée de 6 km. Le 75 devient l’objet d’un véritable culte ("Le 75, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit"), tant il semble assurer la revanche sur l’Allemagne, au point d’en faire négliger le développement d’une artillerie lourde.
Le 75, par ses performances et sa souplesse d’emploi, fait l’admiration des huit États coalisés contre les Boxers chinois en 1900 et donne sa pleine mesure pendant la Grande Guerre (1914-1918) au point de s’identifier à elle, mais au risque de faire oublier tout ce qui différencie l’artillerie de 1914 de celle de 1918, celle des deux batailles de la Marne. Le nombre des bouches à feu a presque doublé (5364 pièces pour 3860) et s’est surtout diversifié, du mortier de tranchée, "le crapouillot", au canon de 320 sur train spécial. Principale cause de l’industrialisation à outrance : il faut tourner sans cesse plus d’obus.
Deux autres conséquences en sont résultées : l’aviation d’observation puis de bombardement, le char d’assaut. L’aviation, utilisée dès le début du conflit comme appareil d’observation sur les mouvements ennemis, ses concentrations et surtout ses positions de tir, est devenue un instrument délivrant le feu à distance : l’aviation de bombardement complétant et concurrençant l’artillerie. Contre elle, avant même le déclenchement de la guerre, une réflexion a été conduite, induisant rapidement la création d’une arme spécialisée : l’artillerie antiaérienne. Devait-elle pratiquer un tir au but (un "tir au canard") ou un tir en rideau ? L’artillerie d’assaut, les chars de combat, les "tanks" sont nés eux du besoin d’accompagnement en tout terrain des assauts de l’infanterie, toujours précédés de tirs de préparation de l’artillerie classique.
Faut-il redire que c’est un artilleur français, Foch, qui a conduit les armées alliées et associées à la victoire ? Il n’avait cessé dans son enseignement de rappeler l’absolue nécessité de la supériorité de feu avant l’offensive ou la contre-offensive, seule capable de donner la victoire. Mais sa fougue oratoire en avait fait l’apôtre de l’offensive à tout prix.
En raison des pertes humaines subies pendant la Première Guerre mondiale, un état d’esprit défensif (en prélude à une contre-offensive alliée ; ce qu’on oublie généralement de préciser), l’emporte pendant les vingt années qui suivent. Elles aboutissent à l’établissement d’un système fortifié, face à l’Allemagne, mais non au Luxembourg et à la Belgique. L’artillerie de forteresse l’emporte avec l’édification de la ligne Maginot qui se révèle certes imprenable mais qui est tournée en 1940.
L’artillerie de campagne, en cours de mécanisation, malgré de véritables prouesses ponctuelles, ne peut briser l’offensive des blindés allemands soutenus par l’aviation d’assaut. Deux combats, ceux de Gembloux et Stonne, illustrent ce comportement exemplaire sans oublier les nombreux coups d’arrêt portés par des batteries tirant à tir tendu sur les engins ennemis et qui ont souvent obtenu des résultats supérieurs à ceux des canons anti-char trop peu nombreux et de faible puissance. C’est grâce à son artillerie que l’armée des Alpes demeure invaincue, en raison de la combinaison de tirs de son artillerie de forteresse et de son artillerie d’intervalle couvrant les sections d’éclaireurs skieurs. Longuement préparée, la destruction du fort italien du Chaberton contraste avec les tirs de la batterie improvisée de Voreppe, arrêtant les Allemands devant Grenoble.
L’artillerie de la France libre prend la relève à la mesure de ses faibles moyens et tient sa place à Koufra, avec un seul canon, comme à Bir Hakeim. Elle entre pleinement dans la guerre moderne à Ksar Rhilane en Tunisie où, en I943, l’aviation anglaise entre en action de manière décisive après le coup d’arrêt porté par l’artillerie de la colonne Leclerc. En Tunisie, les batteries hippomobiles de 75 du corps d’Alger tiennent encore leur place en 1942-1943. Mais c’est avec du matériel américain, et sous couverture aérienne alliée, que les Français s’illustrent au Garigliano, ouvrant par le feu de leur artillerie et le sacrifice de leurs fantassins la route de Rome. Totalement américanisée dans ses matériels et ses approvisionnements, la Première Armée française participe à la libération du territoire national et termine la campagne en Allemagne en 1945. La complémentarité entre l’artillerie de campagne, l’infanterie mécanisée et l’arme blindée, sous couverture aérienne, a joué à nouveau dans une guerre de mouvement.
Les guerres de décolonisation conduites par la France s’opposent à la précédente par leur éloignement, leur moindre ampleur et surtout le déséquilibre des forces matérielles en présence. En Indochine, la guerre s’achève par une balaille d’artillerie qui n’est pas sans rappeler Verdun. A Diên-Biên-Phù, en 1954, les canons du Viêt-minh réduisent au silence les batteries françaises avant l’assaut final. En Algérie, où le FLN ne possède ni avions, ni canons, l’artillerie française contribue à la victoire sur le terrain par ses tirs sur les barrages aux frontières, tirs préparés ou tirs à la demande. Au Tchad, qui n’est plus une guerre de décolonisation, un tir de missile sol-air (une nouveauté opérationnelle) coupe court aux tentatives de soutien de l’aviation libyenne en faveur des forces antigouvernementales. Des coups d’éclat qui masquent, outre-mer, le quotidien d’une artillerie le plus souvent condamnée à la défense de points d’appui et de périmètres réservés ou au soutien de quelques opérations sporadiques.
La participation de la France aux opérations de maintien de la paix, d’interpositions ou de sanctions décidées par l’ONU, conduites par l’OTAN ou l’Union européenne au sein de coalitions inter étatiques, semble ouvrir de nouveaux horizons.
Au cours de la première guerre du Golfe, la division Daguet opère, lors de l’offensive finale, à l’aile gauche de trois divisions américaines. L’intensité des tirs d’artillerie et des bombardements aériens décident de l’affaire. L’artillerie française a été renforcée par des batteries américaines et la couverture aérienne était américaine. L’occasion néanmoins de renouer avec une guerre de mouvement, imposant à l’artillerie de rouler au rythme d’une division blindée. En revanche, la canonnade du mont Igman, en 1995 dans la région de Sarajevo,dans l’ex-Yougoslavie, s’inscrit dans la typologie des tirs de sanction dissuasif non suivis d’offensive terrestre ; une action purement politique donc, mais non sans effet diplomatique à moyen terme.
Couvrir plus de cinq siècles d’histoire de l’artillerie au travers de vingt batailles traitées comme autant de « cas » d’instruction tenait sans doute de la gageure. Malgré des omissions (Marignan ? Austerliz ? La conquête de l’Algérie ? Le Chemin des Dames...) que relèveront les puristes, malgré leur caractère inévitable, le pari a été tenu. Praticiens et « amateurs éclairés, bénéficient de jalons incitant à pousser plus loin la réflexion sur les corrélations entre technique et tactique, puissance industrielle et puissance militaire, politique affichée et atermoiements observés. Les conclusions à tirer pour le présent sont moins évidentes que les suggèrerait une approche trop rapide et doivent inciter à une analyse prospective globale d’une actualité politique, économique, militaire mouvante avant toute décision.