La seule véritable limite du repérage apparaît lors de la campagne de 1918. Sous la pression des alliés, le front se décompose et la guerre de tranchée fait place à une nouvelle guerre de mouvement. Les sections de repérage, prises au dépourvu, éprouvent de nombreuses difficultés pour adapter leur technique. La stabilité du front facilitait leur travail de reconnaissance, de topographie, de liaison, d’échange et de recoupement d’informations.
La guerre de mouvement les oblige à disperser leurs installations et réduit le nombre et la valeur de leurs déterminations. Le commandement essaie de pallier ces difficultés en redéfinissant les missions des différentes sections. Mais la recherche à long terme de solutions techniques s’impose pour garantir la fiabilité du Repérage dans le futur. Les sections doivent apprendre à maîtriser le facteur temps et acquérir une mobilité suffisante pour être opérationnelles plus rapidement.
Après la guerre, tout le monde s’accorde à dire que la mobilité et la rapidité sont la condition de survie des systèmes : mobilité des sections, pour s’adapter aux fluctuations de la zone de contact et aussi rapidité à déterminer les emplacements.
De fait, le repéreur ne doit jamais oublier qu’il est au service de l’artillerie et que celle-ci réclame des résultats dans les délais les plus brefs. Cette évidence s’impose... D’autant plus que l’adversaire prend en compte les dangers de localisation et cherche à les contourner : batteries nomades, abandon du système des batteries isolées trop facilement repérables.
Il est donc plus important de privilégier la rapidité, le travail et la transmission des données que d’affiner des résultats qui risquent de devenir caducs devant les mouvements ennemis. La plupart des progrès réalisés entre les deux guerres découlent de cette constatation et tentent de tirer le Repérage de son immobilisme.
Premier progrès, l’accélération des travaux topographiques. Durant cette période, leur décentralisation au niveau des batteries est acquise.
Chaque unité fait elle-même sa topographie, ce qui la rend plus autonome et donc plus rapide. Le Groupe de Canevas de Tirs de I’Armée (GCTA) n’intervient plus qu’en tant que conseiller technique auprès du commandement, il conserve néanmoins un droit de regard. Cette décision consacre donc l’importance primordiale de la topographie pour le Repérage.
L’innovation principale en topographie est la création des sections de réglage par coups fusants hauts (SRCFH) modèle 1924. Celles-ci accélèrent considérablement la précision et la rapidité des travaux.
Les documents à disposition ne précisent pas leur mode de travail, leur méthode et leur plus-value par rapport aux anciennes sections télémétriques de 14-18.
Seul le matériel qu’elles emploient permet de se faire une idée de leur efficacité :
Les instruments de visée subissent aussi des modifications qui facilitent leur utilisation.
Le cercle de visée remplace définitivement le triangle de visée. Ce dernier donnait des résultats assez précis mais les topographes ou observateurs militaires lui reprochaient son encombrement et sa fragilité face à l’humidité.
Dès 1917, le service géographique de l’Armée conseille son abandon au profit des cercles de visée [1]. Le modèle définitif, qui restera en service jusqu’à la fin des SROT, est conçu en 1924. D’une précision moyenne, c’est tout de même un bon appareil de recherche, permettant des pointés immédiats sur des phénomènes fugitifs.
Les instruments goniométriques connaissent une petite révolution avec l’arrivée, des théodolites. Les goniomètres de base sur lesquels étaient fixées les lunettes ou les viseurs binoculaires, permettaient la mesure des angles azimutaux horizontaux et verticaux au moyen de cercles de visée ou limbes gradués.
L’appareil usuel était le goniomètre-boussole, construit hâtivement durant la guerre. Mais des expériences réalisées entre 1927 et 1929 révèlent l’imprécision de celui-ci. Le commandement décide de le remplacer par un nouvel instrument, le théodolite simplifié modèle 1933. Sa composition se rapproche de celle du premier théodolite, le modèle 1923.
Le TS modèle 33 comprend une lunette mobile coudée que l’on trouvait déjà chez son aîné. Son dispositif goniométrique comporte deux cercles de visée lisibles au moyen de deux microscopes. L’originalité du théodolite par rapport au goniomètre-boussole réside dans l’ajout d’un déclinatoire. Ce dispositif, déjà présent dans le modèle 1923, permet l’orientation de l’appareil grâce à une aiguille aimantée : la vision coïncidente des deux extrémités de l’aiguille, par l’intermédiaire d’un prisme, signale que- l’appareil est bien orienté dans le plan du méridien magnétique. Enfin, l’adjonction d’une boîte d’éclairage en 1935 permet une utilisation nocturne pratique.
Ainsi équipé, le TS 33 peut répondre à plusieurs missions. Il assure d’abord la mesure des angles azimutaux et de site beaucoup plus précisément que le goniomètre.
L’échelle stadimétrique incluse dans la lunette permet également la mesure des distances. Cet instrument très complet restera longtemps une référence pour tous les artilleurs. Il est encore utilisé de nos jours.
L’année 1933 voit également l’adaptation du petit matériel topographique à la guerre de mouvement.
En effet, le matériel de construction graphique, planchette de tir comme outils géométriques, n’est utilisable qu’en cas de stabilisation de la batterie de Repérage.
Au contraire, le matériel de topographie courant donne des résultats d’une moins grande précision quel que soit le terrain et se satisfait d’une occupation rapide des positions pour être opérationnel.
Aussi, une notice de décembre 1933 tente de perfectionner ce matériel pour qu’il puisse servir à un premier travail graphique. La création du « lot de matériel topographique de reconnaissance modèle 1933 » résout les problèmes de transport et de fragilité tout en assurant cette tâche. La planchette topographique est transformée pour se prêter à des mesures graphiques ou à la fixation d’un plan directeur ; l’emballage spécial du lot facilite son transport. Par ailleurs, les instruments de mesures géométriques sont adaptés aux nouvelles cartes au 1/50000e. Ces innovations accélèrent bien sûr les travaux, mais ne se substituent pas aux matériels plus lourds qui prennent le relais dès que des positions suffisamment aménagées peuvent être occupées.
Les liaisons se font aussi plus rapides : SRS comme SROT nécessitent des liaisons téléphoniques et télégraphiques permanentes. Celles-ci permettent l’échange d’informations entre les postes et entre ceux-ci et le central. Elles relient aussi les systèmes de topage aux tableaux centralisateurs. Enfin, elles maintiennent en contact le central avec les bureaux du SRA ou les batteries d’artillerie. Or ces liaisons causent d’énormes problèmes au repéreur. Elles sont d’abord très longues à installer. La longueur des câbles à dérouler varie énormément en fonction du nombre de postes de la section et surtout en fonction de leur éloignement. Différentes sources mentionnent une moyenne de soixante à cent kilomètres de fils pour le fonctionnement d’une SRS.
De plus, le réseau doit être fiable et les procédures à respecter sont assez contraignantes : toute liaison est obligatoirement doublée par une autre dite « de secours », du moins dans les endroits sensibles. De mauvaises transmissions pourraient fausser la précision des systèmes de topage : les téléphonistes doivent donc construire des lignes solides, isolées, fixées solidement et non posées â terre. Malgré toutes ces précautions, le réseau téléphonique reste à la merci des aléas du front sur lequel il est installé : il subit plus ou moins bien les conditions climatiques et surtout les bombardements.
L’entretien et les réparations sous le feu ennemi exposent trop souvent les personnels. Conscients de tous ces défauts, les repéreurs cherchent des moyens de liaison plus fiables et d’installation moins problématique. En 1932, ils réussissent à obtenir le poste à poste en duplex.
Le Général BOURDIAUX joue à nouveau un grand rôle. En 1937, il expérimente un matériel permettant l’intercommunication du central et des postes SROT. La même année, il procède aux premiers essais de transmissions radio entre centraux et postes SRS. Là encore, la guerre interrompt les recherches et les sections de repérage au son resteront dépendantes de leurs câbles qui ont au moins l’avantage de les rendre entièrement silencieuses et les mettent à l’abri des repérages.
Le matériel de repérage se perfectionne également. Les systèmes ne changeant pas, l’organisation des matériels reste identique d’une guerre à l’autre. Les postes avancés comme les centraux se composent des mêmes éléments auxquels on ajoute parfois de nouveaux outils « de confort ».
Les observateurs SROT bénéficient toutefois des nouveaux instruments d’optique et de mesures mis au point par les topographes. La Société d’Optique de Levallois développe ses activités à cette époque et construit de nombreux modèles [2].
En ce qui concerne les SRS, peu d’informations sont disponibles. Seul un règlement de manœuvre montre une évolution dans les microphones en comparant les qualités de l’ancien et du nouveau modèle pour les réglages. Mais le fonctionnement général et les composants restent les mêmes (solid-back).
Les centraux connaissent de plus grands changements. Selon le règlement déjà cité, des améliorations sont apportées au central SRS, à l’enregistreur qui comporte le système de dévidoir de la bande de papier et au dispositif d’enfumage de celle-ci. Le nouvel enregistreur modèle 1933, ou modèle 1930 selon d’autres sources fiables, ne diffère qu’au niveau de la fixation des oscillographes et instruments annexes (chronographe, anémomètres). Mais, mis à part ce perfectionnement technique, les recherches sur le central concernent surtout les méthodes et appareils d’exploitation SRS.
Ces recherches aboutissent dès 1932 à la création de l’un des instruments les plus célèbres du Repérage : l’hyperbolographe de TAYEAU, dit aussi « Tayeaugraphe » mais plus communément « hyperbo » chez les repéreurs.
Elles continuent même pendant la Drôle de Guerre de 1940, comme le prouve un rapport récapitulant toutes les solutions proposées par les repéreurs [3]. Deux méthodes de construction graphique sont progressivement sélectionnées par les calculateurs et dessinateurs pour exploiter les données fournies par les postes. La méthode des cercles concentriques demande moins de calculs mais manque de précision. La méthode la plus utilisée est celle des hyperboles. Elle ne pardonne pas les erreurs d’enregistrement, nécessite au moins deux bases mais donne une précision bien meilleure.
Afin de matérialiser les résultats, on envisage plusieurs appareils mécaniques de représentation des courbes. La planchette normale et la planchette à fils sont issues de la première guerre et mettent en œuvre la méthode des hyperboles. La première est plus précise tandis que la seconde est plus rapide.
Les planchettes sont complétées par l’invention de l’hyperbolographe en 1932. Un repéreur, 1e Lieutenant TAYEAU le met au point durant des manœuvres au camp de Mailly. Son intérêt réside dans une lecture directe des bandes d’enregistrement et un tracé entièrement mécanique des hyperboles. Cet appareil équipe rapidement toutes les unités de Repérage malgré quelques défauts : son déploiement délicat annule parfois le gain de temps qu’il procure pour les déterminateurs. De plus, son poids important et son encombrement limitent sa mobilité alors que sa précision reste moyenne. De ce fait, durant les premiers mois de la seconde guerre, nombre d’opérateurs et d’officiers proposent d’autres dispositifs mieux adaptés aux conditions du conflit.
Pendant la Drôle de Guerre, on signale par exemple l’essai d’une méthode de repérage SRS, dite « par ellipses homofocales », par le Maréchal des Logis HERMANN (21e BR), agrégé de mathématiques, aidé de quelques canonniers.
Mais, là encore, la guerre éclair de mai 1940 met un coup d’arrêt à ces projets qui sont définitivement abandonnés au moment de l’arrivée du matériel américain après-guerre.
Tous les efforts réalisés dans l’entre-deux guerres sont payants et les dé1ais d’installation se réduisent considérablement.
A la veille de la seconde guerre mondiale, le Repérage français semble donc paré au combat, au moins en ce qui concerne ses techniques. Ces systèmes nés de la première guerre ont été perfectionnés et éprouvés au cours de nombreuses manœuvres.
Leur problème principal de mobilité a été résolu, les repéreurs ont essayé de trouver le juste équilibre entre rapidité et précision des déterminations. L’expérience des repéreurs ajoutée à la continuité dans les méthodes et les matériels, est maintenant reconnue de tous les artilleurs.
La guerre va donc sanctionner ces systèmes une nouvelle fois. Mais elle va sanctionner également les unités qui les mettent en œuvre, leur utilisation par le commandement et donc toute une organisation qui participe au succès du Repérage.
[1] Manuel Elémentaire du Chef de Section SROT, op.cit. , p. 36
[2] Selon le Colonel MONNET
[3] Rapport sur les Méthodes et les Appareils d’Exploitation SRS, Sous-lieutenant COSTA de BEAUREGARD, 1940
[4] Le Repérage entre les deux guerres, Général NICOLLET (ancien Chef de Corps du 111/25e RA), Cinquantenaire du Repérage, 21/01/1965