Ce texte est extrait de la revue ATLAS - 2012
De nouvelles capacités techniques et opérationnelles pour l’artillerie.
Avec la mise en service opérationnelle du canon CAESAR [1], et l’arrivée désormais confirmée à l’horizon 2014 des lances roquettes unitaires, l’artillerie a déjà acquis et renforce progressivement une réelle capacité à frapper dans la profondeur d’une zone d’engagement, en complément à ses capacités plus traditionnelles d’appui direct au profit des unités interarmes au contact.
En effet, avec le CAESAR, l’artillerie est en mesure de délivrer des feux puissants et précis à une portée de 38 km, de manière permanente (tous temps) et particulièrement réactive.
Le lance roquette unitaire apportera quant à lui une allonge supplémentaire (jusqu’à 70 km de portée), une précision sub-décamétrique et une puissance unitaire (96 kg de charge explosive) inédites dans l’armée de terre depuis 14-18 !
Dans le domaine des munitions, l’obus antichar BONUS apporte une capacité de destruction ciblée de chars ou véhicules jusqu’à une portée de 33 km. Par ailleurs, le développement actuel d’obus à guidage laser amènera dans les années à venir une capacité de précision encore accrue aux feux d’artillerie, permettant de véritables « coups au but » par tirs indirects.
Avec l’arrivée du nouveau missile MISTRAL et le nouveau viseur, la composante défense SOL-AIR acquiert également des capacités accrues en particulier face à des petites cibles et face au brouillage.
Ces capacités génèrent de nouveaux besoins incontournables.
Ces nouvelles capacités entraînent une évolution profonde des besoins en capacités d’acquisition et de localisation des objectifs désormais possibles dans la profondeur ; il s’agit d’une part de détecter et d’acquérir des objectifs, planifiés ou d’opportunité, au-delà du premier compartiment de terrain couvert par les observateurs avancés des DLOC [2] d’artillerie, et d’autre part, de localiser ces objectifs avec un degré de précision permettant une mise en œuvre efficace des tirs. Par ailleurs, les exigences et contraintes ROE [3] sur les théâtres d’opérations actuels, et probablement futurs, accentuent ce besoin de précision dans la localisation, en imposant une réduction maximale des « dégâts collatéraux » compte tenu de leur impact possible dans la conduite des opérations ou sur des plans plus généraux (politique, médiatique).
Les limites de l’artillerie dans l’acquisition des objectifs dans la profondeur.
L’artillerie se trouve donc dans une situation de distorsion croissante entre d’une part ses capacités d’allonge et de précision, d’autre part ses capacités d’acquisition. En effet, les observateurs d’artillerie désormais réorganisés au sein des DLOC disposent de moyens d’observation, d’acquisition et de localisation des objectifs performants dans le compartiment de terrain observable par vues directes : lunettes, caméra thermique, télémètre laser, GPS, équipements variables selon le mode d’engagement des observateurs, à bord de leur véhicule d’observation ou débarqués. L’artillerie dispose donc de bonnes capacités d’acquisition pour l’appui direct des unités interarmes engagées, correspondant au rôle fixé aux 31 DLOC, tous dédiés et abonnés à un régiment de mêlée.
En revanche, depuis le transfert des moyens drones du 61ème RA au sein de la brigade de renseignement, l’artillerie ne dispose plus de moyens organiques d’observation et d’acquisition dans la profondeur, sinon les radars RATAC [4], capables de détecter et d’acquérir des cibles mobiles jusqu’à une portée de 20 km, et de contrôler des tirs par mesure de l’écartométrie entre l’objectif et l’impact des obus ; ces radars seront malheureusement obsolètes à l’horizon 2014.
Enfin, les moyens de contrebatterie, radars COBRA et les capteurs acoustiques SL2A [5], restent spécialisés à la localisation des départs de tirs ennemis (obus et roquettes).
Un indispensable recours aux capacités de la chaîne renseignement.
L’artillerie a donc un besoin impératif des informations fournies par les moyens actuels de la chaîne renseignement, en particulier des moyens drones SDTI [6], pour effectuer des tirs au-delà du premier compartiment de terrain accessible à ses observateurs, et exploiter ses capacités de frappe dans la profondeur au profit de l’interarmes. Cette synergie est réalisée sans aucune difficulté sur le théâtre afghan, sans mise en place d’une structure particulière au sein du CO de la brigade La Fayette, mais par une coordination des cellules appuis 3D et renseignement du CO.
Par ailleurs, la localisation des BRB [7] au sein des régiments d’artillerie facilite cette connaissance réciproque des possibilités et besoins des deux fonctions appuis-feux d’artillerie et renseignement.
Les apports possibles de l’artillerie au domaine renseignement.
En effet, si la chaîne renseignement constitue aujourd’hui un soutien indispensable à l’exploitation des capacités feux de l’artillerie, celle-ci peut représenter également un apport significatif à la chaîne renseignement d’une force engagée : d’une part par la masse du renseignement recueilli par les observateurs d’artillerie déployés sur le terrain, renseignement transmis sur le réseau ATLAS [8] interfacé avec les réseaux interarmes du GTIA [9] et de la brigade ; d’autre part par les capacités d’analyse par les artilleurs, des tirs indirects ennemis sur nos forces.
Dans les opérations actuelles de type contre insurrection, ce ne sont plus en effet des schémas ou des gabarits tactiques qu’il faut analyser, mais des séries de faits, relevant souvent de domaines techniques très spécialisés (techniques IED , IDF ...). L’analyse opérationnelle de la menace indirecte - tout comme ce qui concerne la menace IED - ne peut pas être confiée uniquement à des structures interarmes.
L’artillerie doit apporter son expertise dans ce domaine en exploitant tous les aspects techniques de cette menace tirs indirects.
Il existe en effet de nombreuses possibilités pour analyser la menace. Ce constat peut compléter d’autres conclusions ou informations sur l’insurrection (origine, qualification et formation des insurgés, niveau de risque...).
L’analyse opérationnelle de la menace indirecte est désormais partie intégrante des missions du DLOC (cf le mémento de procédures du DLOC édité en 2009).
Si le rôle traditionnel de l’artillerie en matière de renseignement dans la zone des contacts perdure sans évolutions majeures, en revanche, cette fonction d’analyse doit monter en puissance par un investissement en formation et en entraînement, ainsi bien sûr que par l’expérience acquise par les équipes de l’avant sur le théâtre afghan.
Une évolution nécessaire des moyens d’acquisition au profit de l’artillerie.
L’artillerie doit, comme toutes les composantes opérationnelles, faire évoluer techniquement ses moyens d’acquisition à travers une évolution de ses moyens propres ou par la prise en compte de ses besoins par les moyens d’autres fonctions opérationnelles, dont le renseignement au premier chef, ROIM [10] ou ROEM [11] notamment. Par exemple, le radar tactique programmé comme successeur du RATAC, qui sera commun aux fonctions renseignement et artillerie, devrait être capable de donner des coordonnées suffisamment précises pour permettre le tir de munitions métriques.
De manière plus générale, la capacité de localisation métrique (moins de 5 m), voire d’identification positive (visuelle) dans la profondeur, doit constituer l’objectif à atteindre dans les années à venir pour l’artillerie. Il ne s’agit évidemment pas de considérer cette capacité avec une logique de « propriétaire », mais bien d’envisager des coopérations et mutualisations avec d’autres fonctions opérationnelles ou d’autres armées ; la chaîne du renseignement de l’armée de terre constitue aujourd’hui la première source, indispensable, de ces synergies.
En conclusion, la coopération des chaînes renseignement et artillerie s’avère indispensable pour une meilleure efficacité interarmes, par la pleine exploitation des capacités que l’armée de terre s’est attachée à développer dans son artillerie : portée accrue, capacité de précision métrique. Cette prise de conscience a débuté il y a déjà quelques années, avec en particulier la mise en place d’exercices communs (TOLL) visant notamment à créer des « boucles courtes » entre capteurs renseignement et moyens feux d’artillerie ; cette coopération, qui s’exerce pleinement sur le théâtre afghan actuellement, doit se poursuivre et se développer dans le cadre de l’évolution des équipements aussi bien que des concepts d’emploi.
[1] camion équipé d’un système d’artillerie
[2] détachement de liaison d’observation et de commandement
[3] rule operationnal engagement (règles d’engagement opérationnel)
[4] radar de tir de l’artillerie de campagne
[5] système de localisation de l’artillerie par acoustique
[6] système de drones tactiques intérimaire
[7] batterie de renseignement brigade
[8] automatisation des tirs et des liaisons de l’artillerie sol-sol
[9] groupement tactique interarmes
[10] renseignement d’origine image
[11] renseignement d’origine électromagnétique