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1936-1940 : témoignage : L’artillerie de forteresse - La ligne Maginot
 

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Article rédigé par André PERRIN [1], ancien lieutenant commandant le bloc de 135 de l’ouvrage d’ ANZELING, MOSELLE (1936 - 1940). Cet article est paru dans le Bulletin historique de l’artillerie n°20.

L’artillerie de forteresse - La ligne Maginot

Les gros ouvrages de la ligne MAGINOT, dernier maillon de l’histoire des forts français, avaient pratiquement résolu le problème de l’artillerie en première ligne, en faisant de celle-là la meilleure du monde ! En portant à la perfection les solutions aux problèmes classiques de l’arme, grâce à l’invulnérabilité pour l’époque du personnel et des matériels [2].

Malheureusement, les crédits ne permirent de réaliser pour 1940 que 50% à peine des plans de la Commission d’Organisation des Régions Fortifiées (CORF) « héritière spirituelle de VAUBAN ». Et cette artillerie de « forteresse », sans laquelle la ligne MAGINOT n’aurait offert qu’une valeur intrinsèquement négligeable à la frontière allemande, dans la situation de juin 1940, se limitait tout au plus à quatre vingt kilomètres de front au total à vol d’oiseau entre SEDAN et RHIN [3] . Là où les Allemands se cassèrent les dents !

Si certains voient la ligne MAGINOT jusque dans les ALPES [4], et même en CORSE, nous ne considérons que le Nord-Est, dont le problème est entièrement différent de part la nature du terrain. Là, où un petit ouvrage sans appui d’artillerie se faisait balayer par la WEHRMACHT en LORRAINE, le même en montagne, où le coup d’embrasure était pratiquement exclu, aurait pu à lui seul arrêter toute une division ennemie dans une vallée.

A base de canon-obusiers de 75 modèle 1929 (voir aussi le modèle 32, d’obusiers de 135 (initialement baptisés lance-bombes) et de mortiers de 75 ou 81 confiés à l’artillerie, la puissance variait en fonction des possibilités de l’organe de feu. La casemate (une à trois pièces selon les cas), ne couvrant que cinq cents décigrades en direction, pouvait paraître huit fois moins puissante qu’une tourelle tous azimuts.

Il faut donc distinguer possibilités techniques ponctuelles ou tactiques suivant la circonférence, d’où une majorité de casemates et de mortiers en montagne ou de tourelles et d’obusiers en plaine.


« Il n’y a que deux pièces là-haut ? ».

Telle était la réaction de l’artilleur de campagne visitant un bloc durant la drôle de guerre. Mais son moral remontait en découvrant que cette « section » [5] sous tourelle valait à elle seule un régiment pour le moins. Et encore, un régiment invulnérable aux coups capable de concentrer instantanément douze pièces sur n’importe quel gisement de 0 à 6400 millièmes.

En effet :

  • elle ouvrait le feu dans la minute en tir d’efficacité, sans réglage, sur objectif inopiné en n’importe quel point du cercle de son champ de tir, et à cadence rapide sans limite de temps, avec une souplesse phénoménale (électrique) et une absolue stabilité de pointage eu égard au tonnage du matériel ;
  • elle coiffait un objectif quelconque du premier coup, par surprise, grâce à une préparation du tir de précision qui nous avait coûté quatre années de calculs avant 1938, sous la haute compétence du général MENJAUD, père de nos documents de tir et d’observation à lecture directe ;
  • la fabuleuse précision de l’observation, à base de périscopes lourds pouvant atteindre les trois cents kilogrammes, alliée au jeu des postes de commandement (PC) confortables et de transmissions-fils enterrés exceptionnelles complétaient le système ;
  • grâce à quoi, tout objectif était battu d’entrée avec une densité de tir d’arrêt, de soixante-douze coups de 75, en trois minutes (durée du tir normal), et de trente-six coups au 135 dont le projectile (obus) rappelait en explosif l’effet du souffle du 155 C. Les cadences maxima pouvant atteindre respectivement trente et quinze coups par minute. Les munitions arrivant à volonté et l’usure des tubes se trouvant palliée par des rechanges sur places qui permettaient de les remplacer en deux heures !

L’efficacité des tirs signifiant le traitement des objectifs selon des densités de projectiles correspondant aux résultats recherchés, la méthode consistait à réaliser une préparation théorique des éléments, d’une précision telle, que réglages ou mise en place expérimentale devenaient superflus. Avantage du « béton ! ».

L’expérience avait déjà confirmé avant 1939, grâce aux ouvrages de BITCHE, où se trouvait le seul polygone de tir de la forteresse, que cette solution était valable. En effet, en dehors du vent dont l’exactitude pouvait éventuellement devenir relative « tous azimuts », les éléments topographiques, balistiques et autres aérologiques étaient fondés sur des données extrêmement précises à la disposition des ouvrages. Par exemple, leur cartographie spéciale partait de coordonnées des organes de feu et d’observation... à un mètre près. D’où un pourcentage négligeable d’erreur.

En outre, la cadence des tirs permettait de traiter à priori par fauchage des zones carrées ou rectangulaires variables de 1,2 hectares circonscrivant le contour des objectifs, de telle sorte que la dispersion coiffait le but neuf fois sur dix dans la minute, sans jamais tomber entièrement à côté, d’où des renouvèlements de tirs instantanés, où la dextérité du commandant de bloc se conjuguait avec celle de l’officier observateur, afin de gagner du temps et d’économiser des munitions. Efficacité telle que, en 1940, les tirs normaux n’allaient généralement pas excéder la minute.

Du point de vue tactique, si notre ligne était organisée en secteurs fortifiés, sortes de divisions de forteresse surtout pour les troupes extérieures, l’artillerie des ouvrages menait en réalité une bataille monolithique entre ouvrages espacés de 5km et capables de se tirer dessus réciproquement dans les trente secondes, de nuit comme de jour, en tirs préparés pour la défense rapprochée prioritaire. Avec la plus grande initiative, en ne recherchant que le résultat, ayant pour seules limites les portées maxima, ils prenaient à partie tout objectif signalé par un de leurs observatoires organiques, dans le seul but de détruire l’ennemi, et en rendaient compte après coup au PC du secteur fortifié. En sens inverse, ces artilleries d’ouvrages recevaient des demandes de l’extérieur, via PC de secteur et unités d’intervalles (partie non enterrée de la forteresse), voire de renfort de campagne, qui se traduisaient par des tirs sur coordonnées, quand les observatoires périscopiques n’étaient pas en mesure de les voir pour les intégrer dans les systèmes observatoires-blocs.

[1] Officier d’artillerie, André PERRIN « subit » la ligne MAGINOT en 1940. Après les camps spéciaux, il s’évade d’Allemagne et passe en Afrique. Parachuté en France, il devient expert en guerre non-orthodoxe. A l’issue de l’Ecole de guerre, il débarque en Egypte à la tête du 20ème Groupe d’Artillerie Parachutiste. Après 1958, il passe six ans au SHAPE où il termine sa carrière).

[2] sous des boucliers de 25 à 35 cm d’acier spécial émergeant de 3,50 mètres de béton armé.

[3] Ce qui correspond sur le terrain, y compris la portée des 6 ouvrages d’ailes, à un développement de 140 km environ.

[4] autant d’artillerie que dans le nord-est en nombre de tubes.

[5] deux tubes « jumelés » ne pouvant tirer que sur le même objectif.


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